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Exception faite des trois androïdes des Jaquet-Droz et Leschot du Musée de Neuchâtel-ville, le plus remarquable des automates qui existent en Suisse est certainement « le Grand Magicien » des Maillardet au Musée d’horlogerie de La Chaux-de-Fonds.

Il est très peu connu, et c’est pourquoi nous avons pensé en parler avec quelques détails en reproduisant en même temps des photographies inédites intéressant à la fois son aspect extérieur et son anatomie de laiton et d’acier.

Les Maillardet ont vécu, pour ainsi dire, dans l’ombre des grands automatistes chaux-de-fonniers, les Jaquet-Droz, dont la gloire fut éclatante. Tandis que ceux-ci appartenaient à la bourgeoisie aisée et instruite, les Maillardet étaient d’origine paysanne très modeste, habitant le petit village de Fontaines, au beau milieu du Val-de-Ruz (Neuchâtel). C’était une famille autochtone qui est signalée au XVe siècle déjà, dont un représentant, en 1662, fut chargé de réparer une grosse horloge de village.

Un de ses descendants, Henri, gouverneur (président) de Fontaines, blessa mortellement, dans une rixe, un de ses concitoyens en 1733 et dut s’enfuir en pays fribourgeois dans la région de Morat. Il put enfin rentrer dans son village en 1754 avec sa famille. C’était le père des automatistes, dont nous allons parler, qui commencèrent leur carrière comme horlogers : Jacques-Rodolphe, Henri et Jean-David.

Deux d’entre eux, Henri et Jean-David, firent leur apprentissage à La Chaux-de-Fonds, sans doute chez les Jaquet-Droz, avec lesquels ils restèrent dans la suite sans cesse en relations. Leur frère aîné, Jacques-Rodolphe, poussé par l’esprit d’aventures, désirant aller goûter du service hollandais, fut engagé de force en France, et, ayant tenté de s’évader à deux reprises, il fut condamné aux galères perpétuelles après avoir failli être passé par les armes. Fort heureusement, il finit par être gracié, sur l’intervention du Conseil d’Etat neuchâtelois.

En 1768, Jean-David et Henri travaillaient comme ouvriers à Berlin dans la fameuse manufacture d’horlogerie d’Abram-Louis Huguenin qui ne tarda point à faire faillite. Quelques années plus tard, Jean-David s’établissait, associé à Jacques-Rodolphe, comme pendulier à Fontaines, tandis que leur frère Henri collaborait avec les Jaquet-Droz et Jean-Frédéric Leschot, alors établis à Genève, et les représentait à Londres où il possédait son propre atelier.

Tous trois construisirent des automates à côté de nombreuses pendules et l’atelier de Fontaines fournissait en particulier aux Jaquet-Droz et au capitaine Louis Robert, à La Chaux-de-Fonds, des mécanismes d’oiseaux pour cages-pendules. Jean-David fut saisi par la chimère du Mouvement perpétuel qu’il prétendit un instant avoir réalisé dans une de ses pendules, mais qui contribua finalement à le ruiner. La gloire des Jaquet-Droz le poussa à inventer à son tour des mécanismes inédits, des automates originaux et c’est entre 1808 et 1840 qu’il construisit à Fontaines toute une série de magiciens dont deux sont revenus au début de notre siècle au Musée de La Chaux-de-Fonds

Le plus intéressant est précisément le Grand Magicien placé au-dessus d’une pendule au goût de 1830, assez malencontreux. Chose curieuse, il avait été retrouvé à Porto-Rico, dans les anciennes Antilles espagnoles, et les questions qu’on lui posait et auxquelles il répondait étaient alors rédigées en castillan.

Après bien des vicissitudes, cette pendule, avec son magicien, tous deux complètement détraqués, furent remis en état par un très habile horloger, le regretté Louis Perrin-Jeanneret, de La Chaux-de-Fonds. L’inscription, « Charles-Auguste Quinche », que l’on trouve sur le ressort de la pendule, doit indiquer la date de la construction de cette très curieuse et intéressante pièce.

Ce magicien ou devin, appellation que l’on trouve le plus souvent dans les inventaires de l’époque, porte le chapeau pointu et la robe d’apparat dans laquelle se présentaient les escamoteurs et prestidigitateurs avant Robert-Houdin. Sa longue barbe frisée lui donne un air majestueux et son expression est grave (la tête est remarquablement sculptée).
A sa droite, se trouve une table recouverte d’un tapis sur lequel sont posés quelques objets d’aspect assez mystérieux. Il est assis sur une chaise placée en arrière, à droite d’une plateforme dont la pendule forme le socle doré de 40 cm. de haut sur 50 cm. de large et qui contient une musique.

Notre personnage tient un livre de sa main gauche et une baguette de sa dextre. C’est dans un tiroir, placé au haut du socle, que se fait l’interrogatoire au moyen d’une des douze plaques qui portent les questions. Si vous rentrez le tiroir à vide, le digne devin se contentera de secouer la tête négativement. Mais si la question est placée dans le tiroir, repoussé ensuite à fond, le magicien s’agite, se lève majestueusement, roule les yeux, puis brandit sa baguette, vers une petite fenêtre ovale qui se trouve à droite, au-dessus de sa tête. Les deux battants s’ouvrent brusquement et la réponse apparaît.

Ayant constaté l’exactitude de la réponse, le magicien fait encore quelques gestes, puis se rassied avec beaucoup de naturel. Pendant que cette scène s’est accomplie, deux tulipes, placées aux angles de la plate-forme, s’épanouissent, puis se referment lentement.

Le magicien répond, nous l’avons vu, aux questions qui lui sont posées, ces dernières sont inscrites sur des plaques de laiton de forme elliptique.
Une de ces plaques est déposée dans le tiroir, puis ce dernier est fermé, le mécanisme se déclenche. Le magicien se lève, majestueux, jouant parfaitement son rôle.
Ce qui est agréable à voir est l’enchaînement de tous les mouvements et gestes qui se font sans heurt, très naturellement. Ils n’ont pas l’air mécaniques comme cela se remarque dans d’autres automates.
Le rouage et presque tout le mécanisme se trouvent dans le socle.

La force motrice est donnée par un gros barillet 1 (fig. 1) contenant deux forts ressorts. Ce barillet entraîne, par l’intermédiaire d’une chaîne, une fusée et un rouage dont la régularité du mouvement est obtenue par un gros volant 1 (fig. 2) fixé sur l’axe d’une vis sans fin à trois filets complètement taillés à la main et dont les sommets portent encore le tracé des divisions. Le volant est double et ajusté à friction sur l’axe de la vis sans fin afin qu’il puisse glisser et amortir son mouvement au moment de l’arrêt du rouage donné par la vis sans fin.

Tous les organes commandant le mouvement se trouvent à l’extérieur des platines.
Au moment où le tiroir 2 (fig. 1, fig. 2) est fermé, il soulève le marteau 3 qui, en retombant, produit le déclenchement. Le volant se met en mouvement, l’arbre à came tourne et entraîne les dix cames jumelées qui commandent tous les gestes du magicien. Les mouvements des leviers lui sont transmis par de petites chaînettes travaillant sur des galets fixés aux différents endroits de la charpente métalliques de son corps (fig. 3).

Seul le levier commandant la position debout du magicien travaille avec sa came par l’intermédiaire d’un galet d’acier.
Pendant que le magicien s’est levé et fait les gestes rituels, la réponse se prépare.
A l’intérieur de la partie supérieure de l’automate se trouve un disque dans lequel sont encastrées les réponses. Ce disque porte en son centre deux poulies sur lesquelles sont enroulées deux chaînes venant se fixer par leur extrémité libre aux leviers 1 et 2 (fig. 5).

Le levier 2 suit le mouvement de la came 6, car il est tiré par un ressort de rappel. Son bras 3 participe au mouvement et entraîne la came cylindrique 4 qui, à son tour, entraîne, par le pignon placé à l’extrémité de son axe et du râteau (fig. 4), l’aiguille 1 qui vient buter au fond d’un des trous percés aux extrémités des plaques portant les questions.

Ces plaques étant plus ou moins profondément percées, la came cylindrique 4 (fig. 5) tourne d’un angle plus ou moins grand, ce qui règle le trajet vertical de l’extrémité du levier 1 (fig. 5) et l’angle balayé par le disque portant les réponses. Le levier 7 commande les battants de la petite fenêtre, les obligeant à s’ouvrir et à se fermer au moment voulu.

Si le tiroir est fermé sans qu’il contienne la demande, la tige 2 (fig. 4) n’étant pas repoussée, le marteau en tombant soulève le levier 5 (fig. 5) qui libère un deuxième rouage (fig. 6) ; les cames 3 (fig. 1) portées par le premier pignon commandent le magicien qui, en remuant la tête de droite et de gauche, répond non.

Relevons les plus caractéristiques des questions et des réponses de ce docte magicien qui est en même temps un moraliste :

  • Quel est l’aliment de l’âme ? — La vérité et la justice.
  • Quelle est l’économie la plus utile ? — Celle du temps.
  • Quel est le prix le plus noble de la science ? — D’illustrer l’ignorance.
  • Comment doit-on considérer la morale ? — Comme l’hygiène de l’âme. »

Le Petit Magicien, d’aspect plus modeste, qui tient compagnie à son confrère dans le même Musée, a plus de piquant dans ses révélations. A la question : « Que perd la femme en échangeant la modestie contre l’assurance ? », il répond : « La moitié de ses charmes ».

Nous qui vivons dans un siècle où plus rien n’étonne, nous sommes pourtant émerveillés de la conception ingénieuse et du travail minutieux qui ont permis de donner le jour à cet automate. Et cela nous fait penser avec quelque mélancolie à cette époque où des hommes avaient le temps d’imaginer et de construire cette inoffensive et merveilleuse mécanique.