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La somme de travail et d’étude fournie par Louis Audemars en vue d’atteindre le but qu’il s’était assigné : produire la montre complète – outre la transformation de tous ses calibres, leur manufacture et les négociations inhérentes aux multiples détails de la vente – nous est révélée par quelques extraits de la Notice Historique de 1873.

« En 1832, Louis Audemars et ses fils, dont plusieurs étaient devenus horlogers, jugèrent opportun de donner à leur fabrication une impulsion nouvelle en l’étendant à toutes les parties qui constituent la montre. »

« Mais cette résolution n’était pas facile à exécuter, surtout avec la détermination bien arrêtée de donner à l’exécution complète des montres, le cachet de supériorité qui, jusqu’alors, avait distingué les pièces en blanc sorties de leurs ateliers. »

« Pour arriver à ce but, il était indispensable d’obtenir des ouvriers dont le goût, l’habileté et le savoir fussent à la hauteur du genre d’horlogerie de cette maison. Il fallait donc aller à la recherche de la science et l’importer dans le pays. Personne n’était mieux qualifié pour cette entreprise et personne ne pouvait mieux se prêter à de tels sacrifices que les fils de Louis Audemars. »

Il serait trop long de décrire en détail l’apport de chacun des fils de Louis Audemars, mais un fait est particulièrement digne d’être cité.
Ce sont les mains d’Adolphe Audemars, le cinquième fils, qui exécutèrent ce qui fut unanimement considéré comme l’une des merveilles de l’Exposition universelle de Londres, en 1851.
C’était un pistolet microscopique, entièrement fait à la main, composé de vingt-deux pièces distinctes et fonctionnant parfaitement. Son poids total n’était que de trente-deux milligrammes.

Un compte rendu de l’époque traduit l’impression faite sur un témoin oculaire par cette réussite étonnante. Les lignes qui suivent sont extraites de l’ouvrage de Tallis : Histoire et Description de l’Exposition de l’Industrie mondiale, en 1851.
« M. Audemars exposa un ravissant petit pistolet ne pesant qu’un demigrain, et si minuscule qu’il fallait un microscope pour en voir les détails. Lorsqu’il était agrandi vingt fois, toutes les différentes parties étaient bien visibles et on pouvait en apprécier la forme et le fini impeccables. Chaque partie était aussi complète et aussi soignée que s’il s’était agi d’un pistolet à percussion ordinaire, en sorte que le déclic jouait lorsqu’on pesait sur la gachette ».

Reprenons la Notice Historique. Malgré la perte de son chef et fondateur, qu’en 1833 la mort avait enlevé à sa famille et à son pays, la maison Ls Audemars, composée de huit frères, tous horlogers, se trouvait à cette époque en possession de tous les éléments essentiels qu’exige l’établissement complet des montres, éléments acquis par sa persévérance et son propre travail.

« A partir de l’année 1848, la maison Louis Audemars, qui jusqu’alors n’avait fourni que des blancs de montre avec ou sans échappement planté, put livrer au commerce des montres terminées et prêtes pour la vente, depuis les montres simples aux montres de précision et aux montres de fantaisie les plus originales et les plus compliquées, telles que celles qui, dans diverses expositions, lui ont valu les distinctions les plus honorables. »
« Pendant quelques années, la maison Louis Audemars dut avoir recours à d’autres fabriques, pour quelques parties se rattachant à l’achèvement des montres.
 »
Ces lacunes furent comblées essentiellement en vue d’obtenir le perfectionnement du travail dans ces parties et une supériorité égale à celle des autres qui ont toujours fait distinguer les produits de cette maison. En complétant le nombre des repasseurs et des régleurs qui lui étaient nécessaires, elle a pourvu, au moyen d’apprentissages qu’elle a fait faire au dehors, à l’introduction dans sa manufacture de doreurs, monteurs de boîtes, emboîteurs, poseurs de cadrans, etc.
Son établissement se trouve donc disposé de telle sorte que, depuis le tracé du calibre ou plan sur lequel elles doivent être construites, toutes les montres que la maison Louis Audemars livre au commerce sont faites dans ses ateliers ou par des ouvriers qu’elle a instruits et qui sont sous sa surveillance et sa direction immédiate. On comprend facilement qu’une telle organisation, qui ne se rencontre dans aucun autre établissement d’horlogerie, ne soit pas étrangère aux beaux résultats obtenus.»

Au cours des années qui avaient précédé 1840, les premiers essais avaient été tentés en vue de supprimer la clé indépendante toujours utilisée jusque-là et de l’incorporer de manière ou d’autre au mécanisme de remontage de façon qu’elle soit partie intégrante de la montre.
Plusieurs systèmes de remontage primitifs étaient déjà en usage, dont celui à crémaillère probablement inauguré par Lépine, et celui que Pierre Auguste Caron avait adapté à la montre miniature qu’il avait faite pour Madame de Pompadour.
Quelque temps avant 1840, un habitant du Chenit, Frédéric Raymond, avait fait breveter à Paris un système de remontage par le pendant. C’était peut-être celui qu’avait utilisé Breguet pour la montre minuscule qu’il avait vendue à la reine Victoria, le 17 juillet 1838.

Raymond pouvait être entré en relations avec Breguet avant de breveter son idée, ou peut-être Breguet était-il arrivé au même résultat de son côté. On sait, en effet, qu’il incorpora un système de remontage à plusieurs de ses montres.
Mais il est de fait que le 25 mars 1838, quatre mois avant que Breguet n’eut terminé sa montre, et quatre ans avant qu’Adrien Philippe n’eut vainement essayé d’intéresser les horlogers de Paris à son système de mise à l’heure à tirage, la maison Louis Audemars sortait le premier mouvement de montre à remontage et mise à l’heure au pendant qui ait été fait en Suisse. Le remontage se trouvait à gauche et le mécanisme était logé sous le cadran, comme il l’est encore aujourd’hui.

Mais aussitôt, les fils de Louis Audemars se mirent à perfectionner ce nouveau dispositif et à y apporter diverses modifications et améliorations, de sorte qu’en 1851, ils présentaient une montre complète dont le remontage s’effectuait au moyen d’une couronne de remontoir au pendant, conformément aux principes généraux en usage à l’heure actuelle. Cette pièce figura avec d’autres dans la vitrine de la maison à l’Exposition universelle de Londres, en 1851.

Après la mort de Louis Audemars, un conseil de famille fut tenu, le 24 mai 1833. D’après le procès-verbal qui nous en a été conservé, ses huit fils François-Elisée, juge au Tribunal de La Vallée et membre du Grand Conseil vaudois, Auguste, Louis, Julien, Adolphe, Hector, Eugène-François et Charles-Henri, résolurent de poursuivre de concert l’œuvre de leur père sous la direction technique de François, l’aîné, et d’Auguste, qui devint le colonel Audemars.

Ce dernier fut une personnalité remarquable, qui joua un très grand rôle dans l’histoire de la maison. Il servit trois ans en France, dans l’armée de Charles X, de 1826 à 1829, et outre toutes ses charges et occupations diverses, trouva le temps d’accéder au grade de colonel fédéral, le plus élevé de l’armée suisse.
Egalement membre du Grand Conseil du canton de Vaud, il était connu pour son dévouement à la chose publique. De plus, conscient des obligations sociales incombant à la maison, en tant qu’employeur, il déploya une activité et un dévouement sans limites en faveur du progrès, du bien-être et de la prospérité de sa Vallée natale.
C’était un homme d’une compétence rare, les récits de sa vie en témoignent, et son dévouement au devoir tel qu’il le concevait en a fait en quelque sorte une figure de légende.
Sans cesse, pétitions, propositions, mémorandums, projets, s’envolaient de sa plume, toujours en vue du bien-être des habitants de la Vallée. Ses suggestions et sa persévérance n’étaient pas ignorées des pouvoirs publics. Il suffit de parcourir les comptes rendus des diverses résolutions législatives ayant contribué au développement de l’autorité locale de la Vallée et qui, toutes, sont directement ou indirectement son œuvre, pour comprendre l’envergure et l’importance de la tâche à laquelle il consacra cinquante années de sa vie.
Et pourtant, malgré les exigences de sa vie publique, il trouvait le temps de veiller avec une haute compétence aux problèmes techniques de la maison.

Ainsi, lorsque le nouveau dispositif de remontage fut introduit en 1838 et perfectionné en 1851, la maison annonça que tous les calibres sans exception seraient immédiatement transformés de façon à comprendre le nouveau système de remontage, dès que ses clients en feraient la demande ; ce fut le colonel Audemars qui se chargea de cette étude gigantesque.
Après l’énorme travail accompli par Louis Audemars en vue d’adapter tous les calibres Breguet à sa fabrication, il fallut tout recommencer afin d’y incorporer le nouveau système de remontage au pendant. De plus, la maison produisait maintenant des centaines de calibres de tous genres et de toutes formes – des mécanismes les plus compliqués qui étaient sa spécialité aux montres à répétitions les plus petites – qui, tous, devaient être transformés afin de tenir la promesse que la maison n’avait pas hésité à formuler.
Cette tâche semblait ne devoir jamais finir, et elle se poursuivit aussi longtemps que les clients demandèrent de nouveaux calibres.
Une complication supplémentaire se présenta du fait que la maison insistait toujours pour placer l’aiguille des secondes sur 6 heures, qu’il s’agisse d’une montre de poche avec le remontoir sur midi ou d’une montre savonnette avec le remontoir sur 3 heures, ce qui signifiait une disposition toute différente du calibre.

Il ne peut y avoir de témoignage plus éloquent de la manière dont cette tâche gigantesque fut menée à bien, comme des progrès techniques extraordinaires qui avaient été accomplis par la maison à cette époque, que le fait que les formes et les dimensions de presque toutes les nouveautés qui furent présentées jusqu’en 1920 figuraient déjà dans les archives de la maison Louis Audemars.

2ème partie