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La montre de Marie STUART
Le maître horloger Moyse, à Blois, a signé une pièce que l’Angleterre garde précieusement comme une relique.

C’est une montre d’argent, sonnante, ciselée à jour, appelée memento mori, en forme de tête de mort. Selon une notice historique, notice que nous trouvons dans le remarquable ouvrage Les Horlogers Blésois, au XVIe et au XVIIIe siècles, de E. Develle, cette montre de dimension et de poids considérables, aurait été léguée par Marie Stuart à Marie Seaton, l’une de ses dames d’honneur.

Marie Stuart

D’après les gravures de l’époque, cette montre se portait autour du cou, attachée par une chaîne. 
En vérité, c’était une pièce curieuse sur laquelle on avait gravé, comme sujets, des scènes bibliques : le Paradis terrestre avec Adam et Eve, le Crucifiement, la figure de la Mort, tenant sa faux, et enfin, plusieurs devises.

Nous savons peu de chose de Moyse, le signataire de cette montre aussi originale que lugubre. D’après les registres des artisans de la ville de Blois, il s’est installé dans la vieille cité au cours des années 1559 à 1560. Il avait déjà la réputation d’un horloger habile et plein de savoir.

Une montre… une tête de mort ! On peut se demander pourquoi Marie Stuart, jeune et charmante, avait commandé à Moyse cette montre macabre, si peu en rapport avec sa grâce et sa beauté ? Je crois, en comparant certaines dates, avoir trouvé la raison de cette commande.
Mais, avant tout, ouvrons un livre d’histoire !

Marie Stuart, en 1548, débarque à Roscoff, dans le Finistère ; elle est encore une toute petite fille, vêtue de jupons empesés et de collerettes. Tout le monde lui fait fête ! Aussi dans cette brillante cour des Valois oublie-t-elle bien vite les brumes d’Ecosse et les sombres donjons d’Edimbourg.

Tournons la page : elle est la fiancée du Dauphin de France, le fils de Henri Il et de Catherine de Médicis. A vrai dire François, encore plus jeune qu’elle, n’a rien de bien attirant : une grosse tête, des membres grèles, une tendance au rachitisme. Peu importent ces tares physiques ! On initie la petite Ecossaise aux belles manières de la Cour de France. 
Enfin, en 1558, le 24 août, on marie les deux adolescents, encore des enfants ! Marie est maintenant, en titre, Dauphine de France, et son mari le Dauphin est éperdument amoureux d’elle. Il aime sa jeune épouse comme on aime une maîtresse…

Lisons la page suivante : trompettes, étendards, boucliers et lourdes armures, chevaux caparaçonnés. Toute la fine fleur de la chevalerie est en lice. Les dames en hennin occupent les tribunes, décorées de blasons et de fanions. Soudain, au cours du tournoi, Henri II, roi de France, est blessé à mort par le sire de Montgomery, son capitaine des gardes, qui lui enfonce sa lance – celle-ci ayant soulevé la visière – à travers la tempe, crevant son œil et perçant son cerveau. On descend le roi de son cheval. Le heaume enlevé, on découvre son visage couvert de sang.

L’époux de Marie Stuart monte alors sur le trône et règne sous le nom de François II : un pauvre petit règne éphémère, un règne qui ne dura que onze mois, de 1559 à 1560. Pourquoi cette brièveté ? En voici la raison, tandis que François II résidait à Orléans, la fistule à l’oreille dont il souffrait, forma un abcès. Lorsque le pus coulait, il éprouvait un soulagement mais, dès que la plaie se refermait, les souffrances les plus atroces déchiraient son corps. Aussi, pendant plusieurs jours il poussa des cris si violents qu’il fallut tirer les rideaux contre les vitraux, matelasser les fenêtres, fermer les portes afin que les bourgeois d’Orléans ne fussent pas effrayés par ses clameurs lugubres.

Un de ses biographes nous dit : « Ses plaintes ne cessèrent qu’avec son dernier soupir. François II, le 5 décembre 1560, rendit à Dieu une âme innocente. Et ainsi s’effaça de la terre le souvenir de celui dont le principal mérite demeure d’avoir été l’époux de Marie Stuart ».

Mais la montre du maître Moyse ? Nous y sommes… Je ne puis m’empêcher de comparer, comme je le disais plus haut, la date de la mort de François II et celle de l’installation de Moyse, à Blois. Voyez plutôt : le roi François II règne, comme nous l’avons vu, de 1559 à 1560 et Moyse, lui, livre à Marie Stuart, en 1560, la fameuse montre à tête de mort. Autrement dit, il est permis de penser que c’est en souvenir de la mort de son mari qu’elle commanda à l’horloger blésois cette pièce macabre ornée de la funèbre devise memento mori. Enfin, remarquons encore qu’Orléans et Blois sont deux cités presque voisines !

Montre de Marie Stuart

Peu de temps après la mort de François II, Marie Stuart s’embarqua, le 14 août 1561, à Calais sur un fastueux galion arborant les couleurs françaises et écossaises. Elle aborda, cinq jours plus tard, à Leith et gagna Edimbourg. Au nom de la France entière, le poète Ronsard lui adressa le dernier adieu du royaume des Valois.

Comme un beau pré dépouillé de ses fleurs. Comme un tableau privé de ses couleurs, Comme le ciel, s’il perdait ses étoiles,
La mer ses eaux, le navire ses voiles, Un bois, sa feuille, un antre, son effroi, Un grand palais, la pompe de son Roi,
Et un anneau, sa perle précieuse: Ainsi perdra la France soucieuse
Ses ornements, en perdant sa beauté Qui fut sa fleur, sa couleur, sa clarté.

La jeune reine laissait derrière elle un pays qu’elle avait aimé et qui allait être ensanglanté par les guerres religieuses, tandis qu’elle-même marchait vers son tragique destin, vers le bourreau qui, sur l’ordre d’Elizabeth d’Angleterre. Elizabeth la femme sans homme, lui tranchera la tête.
On peut imaginer que c’est peu avant son exécution, au château de Fotheringhay, qu’elle donna à sa dame d’honneur la montre fabriquée et ciselée par Moyse, le maître horloger de Blois.
Une dernière remarque : le XVIe siècle, le siècle de Marie Stuart, compte dans l’histoire comme une époque particulièrement tragique et brutale. Les nationalités se constituent dans le sang, la foi perd de son élan, la philosophie médiévale s’altère. Et surtout on est hanté par l’idée de la mort. 
L’Ars moriendi, ce livre que l’on retrouve dans plus d’une maison, est un livre de chevet ! A Paris, le charnier des Innocents devient comme le pivot de la capitale. Les danses macabres couvrent les parois des couvents, et les sculpteurs taillent dans le marbre des représentations réalistes de la mort. Tout cela nous explique également pourquoi on retrouve sous le burin des orfèvres, sous le pinceau des peintres, sous le ciseau du sculpteur, l’image de la mort. 
En bref, Marie Stuart en commandant cette montre à Moyse, ne faisait que suivre la mode de son temps.