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Charles-Edouard GUILLAUME (1861-1938)

Les inventions en horlogerie

Depuis leur naissance, les horloges et les montres ont été constamment perfectionnées; l’invention a été continue. Sans doute, les progrès sont-ils plus lents à certaines époques, plus rapides à d’autres; cependant il y a invention et invention. Celles qui sont restées, qui ont été appliquées, sont des perfectionnements dont l’utilité a été démontrée. Réservons le nom d’invention à ce que le temps a consacré et non à tout ce que les bureaux de la propriété intellectuelle protègent.

Certains perfectionnements ont une certaine importance: un nouvel échappement, la montre automatique, la montre amagnétique, etc..; il y a des inventions de grande classe comme celles du premier échappement libre, des paliers en pierre précieuse, du balancier compensateur bimétallique, des courbes terminales des spiraux et enfin certaines inventions peuvent être qualifiées de fondamentales, ce sont entre autres le pendule, le balancier-spiral, l’horloge à quartz.

Ces inventions de toutes sortes sont le plus souvent dues aux horlogers; il suffit de rappeler quelques noms: Burgi, Habrecht, Clément, Graham, Harrison, Berthoud, Breguet,Janvier, LeRoy, Arnold, Earnshaw, Schwilgué, Nicole, Grossman. Les inventions fondamentales sont dues aux savants: Galilée, Huygens, Hooke, Fatio, etc..

Charles-Edouard Guillaume

Parmi ces derniers, il faut citer Charles-Edouard Guillaume qui n’était pas horloger mais fils d’horloger, né et élevé à Fleurier, dans la région horlogère du Val-de-Travers. Rappelons les étapes de sa brillante carrière: ce sont d’abord ses études de physique à l’Académie de Neuchâtel, puis des études de mathématique et de physique à l’École polytechnique de Zurich où il se décida pour la carrière de physicien; enfin en 1883, le Bureau international des Poids et Mesures qu’il dirigea à partir du départ du directeur Benoît jusqu’en 1936. Le couronnement de sa carrière fut, en 1920, l’attribution du prix Nobel de physique.

Au Bureau de Sèvres, C.-É. Guillaume devint tout d’abord métrologiste. On a parfois tenté de ridiculiser les métrologistes, ces coupeurs de cheveux en quatre. Aujourd’hui on ne conteste plus leurs mérites et à ce propos rappelons un mot de Guillaume : « … rien n’est plus fécond en science que le gain d’une décimale ». 
Le développement actuel de l’horlogerie confirme l’opinion du savant : il y a moins d’un siècle, les horlogers mesuraient au 1/12 de ligne, puis passèrent au 1/10 de millimètre, au 1/100 de millimètre et maintenant, on parle couramment du micron. Sans cette précision des mesures, l’interchangeabilité – une des qualités les plus recherchées – ne pourrait être atteinte. 
Guillaume fut un savant dans toute l’acception du terme: ce qu’ont bien compris les membres du Comité Nobel et de l’Académie des sciences de Suède. Les qualités du savant sont d’abord un riche bagage de connaissances non seulement enregistrées par la mémoire, mais assimilées, ensuite un esprit net capable de poser clairement les problèmes; puis une méthode de travail efficace. Ajoutez à cela une grande capacité de travail, une persévérance qui ne se laisse pas rebuter par les échecs, les résultats décevants et surtout un grand amour de la recherche pure. Guillaume possédait toutes ces qualités.

Guillaume, pionnier dans le domaine de l’horlogerie

Jusqu’à la fin du XIXe siècle, les horlogers confectionnaient les montres et les horloges toujours avec les mêmes matières: acier, laiton, maillechort, rubis. Il v eut bien quelques tentatives d’utiliser, spécialement pour les balanciers et les spiraux, des alliages nouveaux dans lesquels on trouvait l’or, l’argent, le platine, le cuivre, le cobalt, le tungstène, le zinc, le plomb, etc.. 
Rappelons les balanciers compensateurs d’Arnold et de Dent (1833) qui utilisaient des alliages d’argent et de platine pour le balancier et des alliages d’or pour le spiral; les essais de Charles-Auguste Paillard (1840-1895), ses spiraux en alliage de palladium et de cuivre. Ces nombreux essais n’eurent que peu de succès; ils étaient sporadiques et ne reposaient pas sur une connaissance approfondie des alliages.

Il n’en fut pas de même des découvertes de Guillaume; elles furent la suite d’une étude scientifique très poussée des propriétés des alliages de fer et de nickel; cette étude fait l’objet d’un mémoire de 240 pages publié par le Bureau international des Poids et Mesures, et intitulé: « Recherches métrologiques sur les aciers au nickel ». 
Le mérite de Guillaume est d’avoir introduit la métallurgie scientifique dans le domaine de l’horlogerie. L’industrie horlogère est la grande bénéficiaire de cette innovation; nous avons vu les améliorations apportées même à certaines solutions de Guillaume, l’utilisation d’alliages amagnétiques, inoxydables, à haute perméabilité, à module d’élasticité élevé, etc.. 
En bref, le constructeur d’horloges et de montres ne craint plus les alliages quels qu’ils soient. Les inventions horlogères de Guillaume découlent de deux anomalies, deux manques de respect et d’obéissance des alliages fer-nickel envers les lois qui régissent les mélanges.

L’anomalie de dilatation

Elle fut découverte grâce à une observation de John Hopkinson et à une autre de R. Benoît qui ont trouvé, pour des alliages à environ 24 % de nickel, une dilatabilité anormale voisine de celle du laiton. Or, le coefficient de dilatation linéaire du fer est de 11,5.10-6; celui du nickel, 12,55.10-6 et celui du laiton (66 % cuivre et 34 % zinc) est de 18,9.10-6. 
En 1896, une barre d’acier-nickel à 30% de nickel fut offerte au B. I. P. M. par la Société de Commentry-Fourchambault; son coefficient de dilatation linéaire était d’environ 2,9.10-6. 
Ce comportement imprévu des alliages fer-nickel frappa Guillaume qui étudia de près la dilatabilité de ces alliages. Mais comme tant d’autres institutions plus ou moins officielles et souvent très utiles – écoles, universités, hôpitaux, bibliothèques, musées- le B. I. P. M. a peu d’argent; les recherches de Guillaume n’auraient pu être faites sans le secours abondant de l’intelligent directeur de la Société de Commentry-Fourchambault, Henri Fayol, qui fournit gratuitement plus de 600 alliages Fe-Ni.

L’invar

Les très nombreuses mesures de Guillaume aboutirent à l’établissement de la courbe donnant les coefficients de dilatation des alliages Fe-Ni en fonction de la teneur en nickel. D’après cette courbe, le coefficient de dilatation est d’abord anormalement élevé, puis diminue très rapidement pour passer par un minimum autour de 36 Ni; elle se relève ensuite pour se rapprocher de la valeur du coefficient du nickel pur. 
L’alliage à 36 % de nickel reçut le nom d’invar, nom proposé par Marc Thuy. A cause de sa très faible dilatabilité, il est précieux pour la fabrication des règles divisées des appareils et machines de précision. Il fut aussitôt proposé pour la confection des tiges des pendules des horloges astronomiques. 
La courbe mentionnée plus haut permet de définir la teneur en nickel d’un alliage de dilatabilité donnée: ainsi on y a trouvé l’alliage ayant la dilatabilité du platine, alliage appelé platinite, qui remplace le platine coûteux dans la fabrication des lampes à incandescence.

La suppression de l’erreur secondaire

Le module d’élasticité d’un métal est fonction de la température: la variation de ce module, pour l’acier des spiraux, n’est pas proportionnelle à la température de sorte que l’effet de cette dernière sur le module est représenté par une courbe. On corrige cet effet par le balancier bimétallique acier-laiton dont l’influence est proportionnelle à la température. Il résulte de ces deux actions que la correction, juste pour deux températures données, ne l’est plus pour les autres températures. C’est là l’explication l’erreur secondaire. 
En étudiant la variation du terme quadratique qui intervient dans l’équation de dilatation des aciers au nickel, Guillaume trouva que vers 42-44 % de nickel, le coefficient quadratique est tel qu’il doit corriger l’erreur secondaire du spiral d’acier. Ce résultat purement théorique fut aussitôt confirmé de façon éclatante par les essais des chronométriers suisses Paul-D. Nardin et Paul Ditisheim, avec un balancier bimétallique dont la serge était composée d’acier-nickel à 42 % de nickel et de laiton. Ainsi fut trouvé le balancier intégral connu aujourd’hui sous le nom de balancier Guillaume. Cette découverte ne fait-elle pas penser à Leverrier calculant l’existence et la position de la planète Neptune ?

L’anomalie thermo-élastique

Le pendule à tige d’invar et le balancier Guillaume sont utilisés dans la construction des horloges de grande précision et des chronomètres. La découverte de l’anomalie thermo-élastique des aciers au nickel allait conduire Guillaume à une découverte qui a complètement révolutionné la fabrication des montres courantes. 
Cette anomalie fut découverte grâce à deux observations de nature différente faites à peu près simultanément par l’horloger Paul Perret et par l’ingénieur Marc Thury : l’invar a un coefficient thermo-élastique positif tandis que ce coefficient est négatif pour l’acier au carbone. 
La collaboration de Paul Perret et de Guillaume conduisit à la découverte du premier spiral compensateur, le spiral Paul Perret constitué par un alliage Fe-Ni à 28 % de nickel.

Malheureusement cet alliage a deux défauts graves: il est très mou et, associé à un balancier monométallique, il a une forte erreur secondaire (20 s. et davantage). Par des additions de chrome, de tungstène et de manganèse, Guillaume parvint à rendre l’alliage plus élastique et à diminuer fortement l’erreur secondaire. L’alliage ainsi modifié fut appelé élinvar; par la suite il fut encore perfectionné et devint métélinvar, nivarox, isoval, etc. Ces spiraux ont complètement éliminé le spiral d’acier et le balancier bimétallique dans les montres courantes.

Vue d’ensemble des découvertes horlogères de Guillaume

L’emploi judicieux des nouveaux alliages de fer et de nickel, étudiés scientifiquement par Charles-Edouard Guillaume, a résolu certains problèmes que d’autres constructeurs avaient tenté de résoudre par des dispositifs plus ou moins compliqués. L’invar des tiges de pendule a rendu inutile le pendule 
• mercure de Graham et le pendule à gril de Harrison. Le balancier Guillaume a résolu élégamment le problème 
• l’erreur secondaire que tant d’horlogers ont cherché 
• éliminer au moyen des balanciers à compensation auxiliaire.

Le spiral compensateur élinvar a fait disparaître le balancier bimétallique acier-laiton. Ne sommes-nous pas en droit de dire que Guillaume a apporté aux horlogers des innovations fondamentales? Guillaume nous a montré une voie nouvelle que nous sommes en train d’explorer.