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Croisé une connaissance active dans une entreprise centrée sur la presse horlogère, petit tour d’horizon du mood ambiant. « Nous faisons depuis 2 ans moins 30%, il suffit que la situation perdure un peu pour que commencent à apparaître les premiers cadavres ».

Constat froid, mais qui a le mérite de la clarté venant d’un excellent connaisseur du marché médiatique horloger. De fait, l’évolution de l’information dans ce domaine si spécifique a été proportionnée aux mutations qu’a connues le domaine au cours des 15 dernières années.

Flashback.

Depuis les années nonante, le nombre de vecteurs traitant d’horlogerie a explosé, voyant les titres spécialisés et seuls titulaires du marché être phagocytés par les magazines lifestyle, la presse quotidienne et autres titres d’intérêt général, tous mordant à pleines dents dans ce gâteau dont les principaux attraits, en marge de la fascinante culture artisanale et séculaire dont ils se sont faits le relais, sont toujours demeurés les tranches budgétaires importantes allouées à la publicité, relais d’image et de stimulation commerciale obligé.

Le paysage des acteurs médiatiques s’est développé quantitativement, lançant des suppléments dédiés, surfant ponctuellement sur la vague des rendez-vous horlogers printaniers, déclinant de manière saisonnière l’actualité du produit. D’autres ont tenté de s’ériger sans aucune réflexion stratégique en « groupes » spécialisés dans le « luxe », cette espèce de ventre mou terminologique auquel peu sont capables de donner aujourd’hui une définition qui tienne la route, ou du moins d’en esquisser les contours de manière intelligible.

Est-ce à dire que la qualité informative fut au rendez-vous ? Rien n’est moins sûr dès lors que pour un certain nombre, l’art du copier/coller a été érigé au rang de référence journalistique et informative alors que pour d’autres, le relais d’une information substantielle a trouvé ses limites dans le non-dit, dans cette faculté à faire preuve d’apparence journalistique tout en évitant d’aborder les sujets qui peuvent potentiellement irriter. Et l’on sait un certain nombre d’acteurs de cette industrie prompts à lancer une fatwa tout en fermant le robinet publicitaire. Rien finalement que de très surprenant à cette tendance bien comprise et admise des deux côtés du miroir, si ce n’est qu’elle traduit bien le degré d’exacerbation concurrentielle auquel se heurte le business horloger.

Les équilibres risquent pourtant de muter en parallèle aux changements que l’horlogerie va connaître à l’abord de l’après-crise. Ils sont déjà perceptibles dans le raccourcissement des flux liant la marque/le producteur au client final, via un ciblage de plus en plus finement délimité. Ils sont encore palpables dans l’évolution d’un certain nombre de valeurs qui, tout au long des 20 dernières années, ont sacralisé l’horlogerie mécanique : nul besoin d’avoir nécessairement 254 ans pour séduire l’amateur qui, après les paillettes bling, paraît s’orienter vers la valeur ajoutée réelle du produit offert. D’autant que certaines marques jouant encore de cette vertu de sécularité sur le registre de « la plus ancienne (…) la plus vieille (…) » ne paraissent souvent plus capables d’offrir d’autres pièces que de tièdes redites puisées dans les archives.

Cette dynamique d’ensemble risque fort de toucher l’information horlogère comprise dans son sens large. Si la crise va immanquablement affecter un certain nombre de médias imprimés n’apportant aucune valeur ajoutée car dépourvus de substance (un constat souvent admis par les horlogers en voix off) , elle pourrait de même contribuer à ramener au centre du jeu une information centrée sur un contenu un peu plus consistant que l’éternel shooting vendu comme une approche d’exception sortant de l’ordinaire…

Quant à l’internet, nul doute qu’il est évidemment aujourd’hui pleinement partie prenante de ce processus qui voit les canaux les plus courts et directs possibles cibler l’amateur final et influer sur une possible décision d’achat au travers des blogs et autres forums, parallèlement au print. A la grande différence près toutefois que leur multiplication, leur statut d’espace ouvert et leur dépendance publicitaire moindre – pour l’instant – les rend très difficilement contrôlables par mesures de rétorsion budgétaires interposées.

Là encore, la situation peut potentiellement évoluer. Si le monde virtuel et numérique a peiné à attirer les annonceurs horlogers qui n’y accordaient que peu de valeur, l’usage du web par banners et autres visuels interposés s’impose gentiment aujourd’hui comme un canal progressivement incontournable. Et parfaitement compatible avec la tradition, l’histoire séculaire et ce genre de choses dont se prévalent des marques qui, pour leur majorité, se targuent d’être à la pointe de l’innovation et en phase avec les technologies contemporaines…

Par Pascal Brandt